"Chinoise", ou mon premier choc avec la réalité des femmes

Je pense à vous parler du livre « Chinoise », de la journaliste et autrice chinoise Xinran, depuis très longtemps. L’actualité, et notamment l’affaire de Mazan me l’a rappelé. 

Ce livre est sans le moindre doute celui qui m’a le plus marqué, de tous ceux que j’ai pu lire dans ma vie. Il m’a tellement marqué, durant sa lecture, que mes proches m’ont demandés de l’arrêter. Son impact sur moi allait au-delà du temps de lecture. Il me faisait réfléchir et ressentir encore après l’avoir refermé. 

Il est paru en France en 2005. J’étais alors une jeune adulte, plongée dans mes études de droits et ignorante de la cause féministe et, surtout, de tous les malheurs qui peuvent toucher une femme parce qu’elle est une femme. J’avais la chance de vivre loin de tout ça, dans une famille équilibrée et entourée d’hommes bienveillants. Bien sûr, tout n’était pas parfait, mais ce qui est certain, c’est que j’étais protégée. 

Je crois que ce livre a été l’un des fondements de mes pensées féministes d’aujourd’hui. 


Xinran est donc une journaliste chinoise qui a commencé à s’intéresser au sort des femmes de son pays à la fin des années 80. Après des années à recueillir des témoignages, elle a identifiés les plus poignants d’entre eux pour former ce roman qu’elle a sobrement intitulé « Chinoises ». Il peut être considéré comme une suite de nouvelles, sauf que ces nouvelles ont pour fil rouge de raconter la véritable et tragique histoire de plusieurs femmes. Elles sont issues de toutes les catégories sociales, de toutes les générations, de toutes les orientations politiques. Leurs drames sont différents mais ont un point commun indéniable : il leur est arrivé parce qu’elles sont des femmes dans un société hautement patriarcale, à une époque où ce mot n’existait pas encore. 


On parle ici de soumission, de disparition de la personnalité propre d’une femme avec cette épouse de haut fonctionnaire qui n’existait plus qu’à travers son époux. C’était normal. C’était son rôle. 

On parle ici de violences, avec cette femme qui raconte avoir été battu dans son jardin, à la vu de tout son voisinage, sans que personne n’intervienne. La raison de cette inaction ? Un homme à le droit de discipliner sa femme. Il le doit, même. Les voisines l’ont vécu elles aussi, alors pourquoi pas elle ? 

On parle ici de viols, dans des circonstances atroces. Cette mère de famille qui cherchait sa fille après un des plus gros séisme qui a ravagé le pays, et qui la retrouve violée par trois hommes alors qu’elle était aux portes de la mort. Cette enfant de 11 ans, subissant un viol collectif alors qu’elle pensait rejoindre la réunion d’un parti politique tandis que son père, ignorant de ce qui lui arrivait, attendait qu’elle lui revienne. 

On parle des pensées suicidaires consécutives à ces exactions. Cette enfant de 12 ans, hospitalisée, qui écrasait des mouches sur ses plaies dans l’espoir d’aggraver son cas, dans le seul but de ne pas retourner auprès de son bourreau. 

Toutes ces horreurs, je les aient découvertes en lisant ce livre. L’écriture de Xinran les fait vivre à sa lectrice. Me les a fait vivre. Ce livre, j’espère que bon nombre de gens l’ont lu et le liront encore. Parce qu’en vérité, il ne concerne pas que les chinoises. Ces crimes dont les femmes sont victimes ont lieu partout, dans tous les pays, dans toutes les classes socio-économiques. 

J’ajouterais que ce livre est en grande partie d’actualité, ici aussi, en France, à nôtre époque. 

J’ai lu ce livre il y a bientôt 20 ans. Je ne l’ai pas relu pour écrire ces mots. Et pourtant, il est encore bien présent dans mon esprit. Il l’est d’autant plus que ma carrière professionnelle est longuement passée par la case « pénal » et « aide aux victimes ». Cela n’a fait que confirmer les propos de Xinran. Les femmes subissent. Leur voix doit être entendu. 

J’ai toujours l’espoir qu’elle le soit. Que cette voix qui est la nôtre, qui est celle de toutes les femmes, se fasse entendre. Qu’elle dépasse le cadre féminin pour atteindre les oreilles et l’âme de ceux qui perpétuent ces innombrables exactions. 

Malheureusement, l’affaire Mazan, qui réveille ces souvenirs de lecture, prouve qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Ce chemin a bien été entamé depuis la publication de « Chinoises ». 

Nous n’avons pas encore fini de le parcourir. Je ne perds pas l’espoir que nous atteindrons, un jour, la fin de ce chemin.


Sources photos : wikipedia, pixabay